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Le jeune homme à la jambe morte...

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Le jeune homme à la jambe morte... Empty Le jeune homme à la jambe morte...

Message  lindotto Jeu 6 Déc - 12:54

Le jeune Ayman trainait sa jambe morte sur le chemin obscur. Sa béquille rafistolée s’entrechoquait entre les monticules sinistres. Le vent éloignait les rumeurs du douar et rapprochait les jappements des loups. La forêt était à une heure de marche du cimetière que traversait Ayman. Entre deux jurons, Ayman fredonnait un dou3a (prière), ce n’est pas qu’il avait peur, mais vous sauriez pourquoi si vous saviez son histoire. Ayman se rendait chez le jebar (rebouteux) pour soigner sa jambe. Chrif était le plus grand jebar du pays, en témoigne les belles voitures qui avaient gravi le jbel caillouteux pour transporter leurs riches propriétaires à la beraka (cabanon) du guérisseur. Ayman, lui, n’arrivait pas de si loin, ses parents vivaient dans le douar. Son père possédait une terre avec des amandiers et un puit, toute la famille travaillait dans les saguiates (tranchées d’arrosage). Gare aux paresseux, le m3elem (maître) son père, était méchant avec la paresse ! Un battement d’ailes griffa soudain son épaule, Ayman perdit l’équilibre et s’écrasa de tout son long. La poussière cendrée lui piquait les yeux. Il tend la main afin de saisir sa béquille, il la tenait, non, c’était un fémur, où pouvait être cette fichue béquille ? Il tâtonna sur un crâne brisé et mit la main dessus. La route était longue encore pour un infirme. La lune était absente ce soir, et ce n’est pas qu’il avait peur mais les scorpions rouges sortaient se rafraichir le soir. Ayman rit ; depuis qu’il était né sa jambe n’avait jamais rien ressenti, alors, vous pensez, une piqure de scorpion. Dieu maudisse le père de ce monde, si sa mère avait été moins hicha (insouciante), Tinmas, la fille du fqih, l’aimerait au lieu de se moquer. « a ziq-ziq ene7la a bou rjila oue7da » ( ziq-ziq l’abeille unijambiste). Si sa mère avait été moins stupide…
Les grillons chantent enfin, le sentier du cimetière est derrière lui. Devant Ayman ; la lumière de la lampe du Chrif. Plus qu’un dernier effort, son aisselle le brûlait, il n’avait ni bu ni mangé depuis l’aube, et le froid jouait dans les plis de sa jelaba. Enfin. Louange à dieu. Le voilà devant le zeqroum (portail) du Chrif. Ayman frappe trois coups et tourne le dos à la porte. Il ne savait pas quelle intimité il allait troubler.
_ Chkoun ? (qui est ce ?)
_ Qrib ! (un proche)
La porte s’ouvre. C’est Chrif. La paix sur toi, la paix sur toi mon fils. Ayman boite jusqu’à la petite salle d’attente. Les murs sont de pisé, l’odeur est de charbon. Une petite radio à pile grésille sur la paillasse. Un vieillard gémit sur la paillasse. Ayman le reconnaît, c’est l’Haj Bouzeloum, tout le monde savait qu’il avait rapporté de MonteCassino, Italie, 1944, une sciatique et des cauchemars. _ La paix soit sur toi Haj. Chrif t’a oublié on dirait.
_ La paix soit sur toi Chrif, non, Chrif ne m’a pas oublié. J’aurais aimé qu’il m’oublie ce soir. Sa main est dure.
_ Pourquoi ? Il t’a fait mal ?
_ Non, il ne m’a pas fait mal, il m’a tué !
_ Il a essayé quelque chose de nouveau sur toi ?
_ Non, c’était comme d’habitude. Il m’a assis sur la peau de mouton, il m’a fait retroussé ma jellaba, il était assis lui aussi, comme ça en tailleur, et comme d’habitude il y avait sa bouilloire sur le mejmar (brasero) qui bouillait à gros bouillon. Il a commencé à me toucher, exactement à l’endroit où cela faisait mal, rien de nouveau. Puis il a pris son morceau de tissus, l’a trempé dans l’eau bouillante, puis m’a massé le dos avec, ça fait pleurer au début, mais moi j’ai la peau dure. Il m’a dit alors qu’il avait senti que la graisse dans ma colonne avait bougé. A ce moment il m’a enfoncé ses doigts jusqu’à la racine dans mon dos. Ma peau est dure, mais je me suis évanoui à cause de la douleur. Après j’ai eu la nausée, et tu me vois là devant toi. Cet enfant du péché m’a dit que Dieu te guérisse… Que Dieu me guérisse avec l’enfer dans ma colonne.
_ Que Dieu te guérisse Haj, que Dieu te guérisse.
Un âne braie dans le lointain et Chrif prend Ayman en accolade et l’emmène dans sa salle d’examen. Rien, il n y avait rien dans cette chambre sinon une bouilloire, une ou deux peaux de mouton son mejmar, des bandes de chiffon, des compresses de chiffon, et des flacons. Ayman s’apprête à s’allonger comme de coutume et Chrif l’arrête.
_ Ecoute Ayman, écoute-moi mon fils. Cela fait depuis que tu es né, que je m’occupe de ta jambe, n’est ce pas ? Je crois que tu es un homme maintenant, tu as quel âge ? 17 ans ? Je dois arrêter les mensonges. Tu ne pourras plus rien faire de ta jambe, tu ne pourras rien sentir avec. En la travaillant, en la massant, en lui faisant faire tous les mouvements avec. Rien. Pas le moindre frisson. Elle est morte. Je ne peux rien faire pour toi. Peut être que Dieu dans sa grande miséricorde va te la faire revivre, pourtant ce ne sera pas avec mes mains. Par contre si tu as mal autre part, au cou, au bras, à l’autre jambe même, tu peux toujours venir ici, tu sais que c’est ta maison ici. Ne pense jamais que je n ai pas envie de te voir, d’accord ?
_ Je sais tout ça Chrif, je sais tout ça.
_ Mais dis moi est ce que c’est vrai ce que l’on raconte sur ce qu’il est arrivé à ta jambe ?
_ Je ne sais pas, je n’étais pas né.
Ayman le savait mais ne l’avait jamais vu. Sa mère et lui dans son ventre avaient été en ville chez leur tante Naïma. La tante Naïma vivait toute seule dans une très vieille maison de la vieille ville. Aucune personne avertie ne venait visiter la veuve, ni ses fils devenu grands, ni ses cousines. Personne. La mère d’Ayman ne devait en connaître les raisons que bien tard après. La tante Naïma paraissait mourir de joie à l’idée d’accueillir sa nièce, mais était-ce bien sa nièce ? La tante Naïma n’en était pas si sur, mais une famille c’est tellement grand ! Et cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait eu quelqu’un avec qui bavarder ! On arrivait au logis de la vieille femme en suivant un derb (ruelle) dépavé et en montant un étage d’escalier moisis et croulants. Le voisin le plus proche était à un derb plus loin.
La mère d’Ayman ne s’en rappelle plus très bien, mais la maison était lézardée de toutes parts, avec des toiles d’araignées dans les coins, et une odeur de renfermé et de sciures de bois. Les meubles et le zellige était vieux, mais la cuisine était équipée d’une bouteille de gaz et d’un réchaud.
La mère d’Ayman l’a complètement oublié mais l’accueil fut celui des grands jours et la vieille tante ; l’hôte le plus généreux et le plus attentif.
L’après-midi passa en thé à la menthe, gâteaux au miel, et bavardage. Le dîner fut servi à l’heure du crépuscule. La mère d’Ayman n’y prêta pas attention, c’est ainsi que l’on faisait à la campagne. Le cœur de la vieille tante était tellement joyeux que le reste du corps ne pouvait suivre. Emue de bonheur, et pourtant épuisée, la vieille tante pris congé de sa nièce peu après la fin du dîner. Dans son lit, la vieille femme se racontait les histoires qu’elle avait écoutées dans la journée. Elle dormit à la troisième histoire sans avoir mis sa parente en garde…
La mère d’Ayman fatiguée du voyage, dormait depuis quelques heures dans la chambre de séjour. La nuit était jeune encore.
La mère était repue mais enceinte. Elle s’éveilla en milieu de nuit et son corps ne vivait plus que pour des œufs durs. Dans le noir de la chambre elle cru entendre sa tante mettre de l’eau à bouillir. Parfait, comme cela elle serait sur de ne pas la réveillait. Aurait-elle été plus alerte qu’elle aurait entendu un ronflement régulier lui parvenir de la chambre de la vieille tante…
Dieu qu’il lui fallait ses œufs durs. Elle ne prit pas la peine d’allumer une bougie (Quelles bougies ? sa tante ne lui en avait pas offert !). Vite ! Se précipiter dans la cuisine. Vigoureuse campagnard qu’elle était, ses pas auraient enfoui les vivants ! Après quelques grandes enjambées dans le noir, elle arriva dans la cuisine ! Le feu du réchaud émettait une lueur bleue. Une casserole y cuisait. Dans le noir, la mère d’Ayman distinguait une cuillère en bois remuer une étrange soupe ainsi que les pans d’une robe blanche.
_ Chacun son tour, fit une voix de femme.
_ Chacun son tour, chacun son tour, dis moi qui tu es d’abord !
_ C’est mon tour de nourrir mes enfants…
_ TU VAS ME DIRE QUI TU ES ! SINON JE VAIS T’ENLEVER LES YEUX ! TU N’ES PAS CHEZ TOI ICI ! TU N’ES PAS LA MAITRESSE DE MAISON !
Cette dernière phrase fut criée avec tant de conviction que c’est par elle que commence le témoignage de tout ceux ; lointains voisins ou passants ; qui assistèrent aux événements tristes et étranges de cette nuit.
_ TU VAS ME DIRE QUI TU ES ! VA T EN ! VA T EN ! VA T EN OU J’APPELLE LES VOISINS ! VA T EN OU J’APPELLE LA POLICE !
_ Je t’ai dit que c’était mon tour de nourrir mes enfants. Si tu voulais manger tu l’aurais fait de jour.
_ TU N’ES PAS CHEZ TOI ICI ! COMMENT EST CE QUE TU AS FAIT POUR RENTRER ICI ?!
La démence meurtrière brûlait dans les yeux de la mère d’Ayman ; elle devait manger ses œufs durs !
_ Je suis chez moi, c’est toi qui n’es pas chez toi. Laisse-moi maintenant. Va dormir à présent, tu me fatigues et tu fais peur à mon fils.
_ COMMENT CA ? PAS CHEZ MOI ! ET TU VAS ME DIRE QUE C EST CHEZ TOI ICI ? C EST CHEZ MA TANTE TU COMPRENDS CA !
_ C’est chez moi aussi. Regarde mon petit l’invité de ta tante Naïma comme elle est méchante. N’aie pas peur, elle va retourner dormir maintenant. N’est ce pas qu’elle va retourner dormir maintenant ? Chut, ne pleure pas mon petit chéri.
_ A L AIDE ! AIDEZ MOI ! MES VOISINS A L AIDE ! AU SECOUR ! ELLE EST FOLLE ! ELLE PARLE TOUTE SEULE ! AU SECOUR ! ELLE EST FOLLE !
_ Ecoute moi, je ne te laisserais pas le réchaud. Arrête ce vacarme et retourne dormir. Tu vas tuer ton bébé sinon.
_ TUER MON BEBE ? C EST TOI QUE JE VAIS TUER !
La mère d’Ayman n’a jamais oublié ce qui a suivi. L’appartement commençait à se remplir de badauds, et l’on avait envoyé quelqu’un chercher le fquih, un autre, des bougies. Dans les cris et le brouhaha des murmures, la vieille tante rêvait toujours des histoires de l’après-midi.
En retroussant sa robe de chambre la mère d’Ayman courra à l’assaut de la robe blanche. Les témoins ont dit avoir entendu un bruit de lutte, de vaisselles brisées et d’ustensiles renversés…
« ELLE M ATTAQUE ! MES VOISINS VENEZ ELLE M ATTAQUE ! ELLE VEUT ME TUER MOI QUI SUIS ENCEINTE ! ».
Personne de par la réputation de la maisonnée n’osa entrer sans lumière dans la cuisine.
Tout d’un coup.
Le bruit d’un craquement.
Puis le silence.
Puis le hurlement déchirant de quelque chose de non-humain.
L’haletante respiration de la mère d’Ayman et les pleurs de la chose non-humaine.
Puis.
Voilà ce qu’ont entendu les badauds, comme venant des murs :
« Tu as marché sur la jambe droite de mon petit enfant ! Il ne pourra plus jamais marcher ! Que ton fils naisse avec sa jambe droite morte ! Je le veux ! »
Puis plus rien.
Si.
Le fqih qui venait d’arriver a disputé les gens.
_ Vous auriez du intervenir et essayer de raisonner ces deux femmes !
_ Mais haj, nous t’attendions. Nous avions trop peur de ce que nous aurait fait la jeniya (djin) !
lindotto
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